Le CRC et la responsabilité transfrontière des Etats en matière de changement climatique
Le Comité des droits de l’enfant et la responsabilité transfrontière des Etats en matière de changement climatique
Le 22 septembre 2021, le Comité des droits de l’enfant a adopté cinq décisions d’irrecevabilité relatives à la responsabilité de cinq Etats (Allemagne, Argentine, Brésil, France, Turquie) en matière de changement climatique[1].
En septembre 2019, le Comité avait été saisi par seize enfants âgés de 8 à 17 ans sur la base des articles 3, 6 (1-2), 24 et 30 de la Convention relative aux droits de l’enfant[2]. Les auteurs de la plainte alléguaient que l’échec de ces Etats dans la prévention et l’atténuation du changement climatique viole leur droit à la vie, leur droit à jouir du meilleur état de santé possible, leur droit à leur propre culture, et enfin le respect des intérêts supérieurs de l’enfant[3].
Il s’agit d’une victoire en demi-teinte puisque le Comité a admis que les Etats émetteurs de gaz à effet de serre « sont responsables de l'impact négatif des émissions provenant de leur territoire sur les droits des enfants – y compris les enfants qui se trouvent à l'étranger[4] ». En s’appuyant sur le raisonnement suivi par la Cour Interaméricaine des droits humains dans son avis consultatif du 15 novembre 2017[5], le comité a estimé que l'Allemagne, l'Argentine, le Brésil, la France et la Turquie exerçaient un contrôle effectif sur les activités qui sont à l'origine des émissions contribuant au dommage raisonnablement prévisible causé aux enfants en dehors de leur territoire[6]. En effet, un lien de causalité suffisant entre les actes ou omissions de ces Etats et les dommages allégués par les enfants auteurs de la plainte a été admis, ainsi que le caractère important de la plupart des dommages allégués, admettant de cette manière leur statut de victime[7]. De plus, le Comité a précisé que la nature collective des causes du changement climatique n’exonère pas un Etat de sa responsabilité individuelle[8].
Cependant, l’examen des requêtes en l’espèce n’a pas dépassé le stade de la recevabilité, en raison de la condition de l’épuisement des voies de recours internes, qui n’a, selon les Etats défendeurs et le Comité, pas été réalisée[9]. La décision du Tribunal administratif de Paris du 14 octobre 2021 relative à « L’affaire du siècle » et condamnant l’Etat français à réparer le préjudice écologique causé par le non-respect des engagements de la France en matière de réduction de gaz à effet de serre, vient en partie donner raison à l’Etat défendeur relativement aux voies de recours inépuisées par les auteurs de la plainte[10].
Malgré qu’elle n’ait pas dépassé le stade de la recevabilité, cette décision s’inscrit dans la dynamique des procès climatiques, de plus en plus nombreux aujourd’hui[11], mais fait également écho à la résolution du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies du 8 octobre 2021 reconnaissant le droit à un environnement sûr, propre, sain et durable comme un droit humain[12].
En plus de l’impact médiatique de cette décision, le Comité a souligné, dans sa lettre de réponse adressée aux enfants auteurs de la plainte[13], la prise de conscience internationale engendrée par une telle action juridique, et s’est d’ailleurs engagé à publier une nouvelle observation générale sur les droits de l'enfant et l'environnement avec un accent particulier sur le changement climatique[14].
Par Nina Webert
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RÉFÉRENCES
[1] Decision adopted by the Committee on the Rights of the Child under the Optional Protocol to the Convention on the Rights of the Child on a communications procedure in respect of Communications No. 104/2019, 105/2019, 106/2019, 107/2019, 108/2019 disponible ici. [2] Signée à New York le 20 novembre 1989 et entrée en vigueur le 2 septembre 1990, disponible ici. [3] Committee on the Rights of the Child, op.cit., Communication No. 106/2019, §1.1. [4] Comité des droits de l’enfant, communiqué de presse “UN Child Rights Committee rules that countries bear cross-border responsibility for harmful impact of climate change”, Genève, 11 octobre 2021, disponible ici, [notre traduction]; Committee on the Rights of the Child, op.cit., Communication No. 106/2019, §10.5 - 10.12. [5] Inter-American Court of Human Rights Advisory Opinion OC-23/17 on the Environment and Human Rights (state obligations in relation to the environment in the context of the protection and guarantee of the rights to life and to personal integrity: interpretation and scope of articles 4(1) and 5(1) in relation to articles 1(1) and 2 of the American Convention on Human Rights), 15 November 2017, paras 101-102. [6] Committee on the Rights of the Child, op.cit., Communication No. 106/2019, §10.5 - 10.12. [7] Ibid., §10.13-10.14. [8] Ibid., §10.10. [9] Ibid., §10.15-11. [10] Tribunal administratif de Paris, « L’affaire du siècle », 14 octobre 2021, disponible ici. [11] Christel COURNIL, « Affaires Greta Thunberg, Teitiota et Torrès (2019-2020) », DICE, Les grandes affaires climatiques, 10, 2020, Confluences des droits, hal-02963252f, disponible ici, p.283. [12] Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies, 48ème session, résolution 48/13, 8 octobre 2021, disponible ici ; ONU info « L’accès à un environnement sain est déclaré droit de l’homme », 8 octobre 2021, disponible ici. [13] Cette lettre du Comité est disponible ici. [14] Comité des droits de l’enfant, communiqué, “The UN Committee on the Rights of the Child commits to a new General Comment on Children’s Rights and the Environment with a Special Focus on Climate Change”, disponible ici.
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