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Venezuela : des crimes contre l’humanité commis dans le cadre de la répression politique ?

La semaine du 26 octobre 2020, la fuite en Espagne du leader politique vénézuélien Leopoldo Lopez a surpris la communauté internationale. M. Lopez, arrêté en marge des manifestations de février 2014 contre le gouvernement de Nicolas Maduro, avait été condamné en septembre 2015 à près de 14 ans de prison pour divers délits dont celui d'incitation publique à la violence. L’opposant politique, qui a purgé une partie de sa peine dans une prison militaire et qui a ensuite été assigné à résidence, s’était réfugié dans la résidence de l'ambassadeur d'Espagne à Caracas en mai 2019 avant de prendre la fuite. Si le cas de Leopoldo Lopez a été médiatisé, il n’est qu’un exemple emblématique des nombreuses arrestations arbitraires beaucoup moins connues, qui ont eu lieu au Venezuela depuis les milliers de manifestations de 2014 en réaction à la crise politique, économique et sociale traversée par le pays[1].


Depuis 2014, ce sont plus de 15 000 personnes qui ont été arrêtées en marge des manifestations[2]. Cette répression à l’encontre des manifestants et l’intensification de la persécution des dirigeants politiques opposés au président vénézuélien ne cessent d’être dénoncées par la société civile vénézuélienne et internationale[3]. Ainsi, l’ONG Foro Penal décompte, au 2 novembre 2020, 370 prisonniers politiques[4] et dénonce une stratégie de « porte rotative »[5] par laquelle le gouvernement procède à quelques libérations avant de mettre immédiatement en détention de nouvelles personnes. Cette stratégie a d’ailleurs été mise en œuvre dans le cas de Leopoldo Lopez puisque, quelques heures après la nouvelle de sa fuite, un journaliste affilié à son parti politique a été placé en détention.


Saisis de nombreux cas de détention arbitraire, les mécanismes onusiens de protection des droits de l’Homme n’ont pas manqué de réagir pour dénoncer ce qui constitue une violation du droit à la liberté personnelle strictement interdite par le droit international[6]. Ainsi, le groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire[7] a rendu, depuis 2012, vingt-cinq avis relatifs à des cas de détention arbitraire au Venezuela. Son avis n°26/2014 adopté le 26 août 2014 concernait d’ailleurs Leopoldo Lopez dont le groupe de travail recommandait alors à l’Etat vénézuélien la remise en liberté.


Le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme de l’ONU a également examiné la situation des détentions arbitraires au Venezuela. Dans un rapport du 5 juillet 2019 établi à la demande du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU[8], le Haut-Commissariat a notamment considéré que le gouvernement avait eu recours aux détentions arbitraires comme l’un des principaux moyens utilisés pour intimider et réprimer l’opposition politique depuis 2014 au moins[9]. Face à l’ampleur des violations des droits fondamentaux constatées, le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU a décidé, dans une résolution adoptée le 27 septembre 2019, de créer une mission internationale indépendante d’établissement des faits « pour qu’elle enquête sur les cas d’exécution extrajudiciaire, de disparition forcée, de détention arbitraire et de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants survenus depuis 2014, afin que les auteurs répondent pleinement de leurs actes et que justice soit rendue aux victimes »[10].


Dans le rapport qu’elle a rendu le 15 septembre 2020, la mission d’enquête indépendante livre une analyse particulièrement détaillée des violations des droits fondamentaux, et notamment de nombreux cas de détention arbitraire[11]. Parmi ces cas figure celui de Leopoldo Lopez pour lequel la mission d’enquête considère qu’il y a des motifs raisonnables de penser qu’il a été victime de détention arbitraire, et qui conclut également que ses conditions de détention constituent une forme de torture et de traitements inhumains et dégradants[12]. Mais la mission d’enquête va plus loin puisqu'elle conclut que les violations documentées dans le rapport, et notamment les privations arbitraires de liberté, peuvent être qualifiées de crimes contre l'humanité au sens de l’article 7 du Statut de la Cour pénale internationale[13].


Reste à connaître les suites qui seront données à ce rapport et quel sort sera réservé aux personnes encore détenues arbitrairement au Venezuela. Une suite judiciaire semble de plus en plus probable puisque, dans le cadre de l’examen préliminaire en cours devant la Cour pénale internationale[14], le Procureur de la Cour a fait savoir qu'il y avait lieu de croire que des crimes relevant de la compétence de la Cour avaient été commis au Venezuela[15]. En tout état de cause, le Venezuela continuera certainement à faire l’objet de l’attention de la communauté internationale dans les mois et années à venir.


Sofia Bouamran, Andreina Chaguan, Mathilde Chereau, Felipe Silva Mateos, Marion Tourné

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RÉFÉRENCES

[1] 9 286 manifestations en 2014; 5 851 manifestations en 2015; 6 917 en 2016 ; 9 787 en 2017 ; 12 715 en 2018 ; et 3 768 manifestations en 2020 (janvier à mai) selon le rapport “Detailed findings of the independent international fact finding mission on the Bolivarian Republic of Venezuela”, §60 (A/HRC/45/CRP.11). [2] World Report 2020, Venezuela Events of 2019, Human Rights Watch. https://www.hrw.org/world-report/2020/country-chapters/venezuela [3] “Silenced by force : politically-motivated arbitrary detentions in Venezuela”, rapport d’Amnesty International de 2017 (Index AMR 53/6014/2017); “Political repression in Venezuela : annual report 2019”, Foro Penal [4] Site Internet de l’ONG Foro Penal : https://foropenal.com/presos-politicos/ [5] Gonzalo Himiob sobre la detención de Roland Carreño “Es la estrategia de la puerta giratoria” El Nacional, 29 octobre 2020. [6] La détention arbitraire est notamment prohibée par l’article 9 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, l’article 9 du Pacte International sur les droits civils et politiques et l’article 7 de la Convention américaine relative aux droits de l’Homme. [7] Ce groupe de travail a été créé en 1991 par l’ancienne Commission des droits de l’Homme de l’ONU notamment pour enquêter sur des cas de privation arbitraire de liberté et pour agir sur la base des informations portées à son attention et concernant des cas présumés de détention arbitraire en adressant des appels et des communications urgents aux gouvernements concernés. Conformément à ses méthodes de travail, le Groupe de travail considère qu’il y a privation arbitraire de liberté dans les cas suivants: a)Lorsqu’il est manifestement impossible d’invoquer un quelconque fondement juridique pour justifier la privation de liberté, comme dans le cas où une personne est maintenue en détention après avoir exécuté sa peine ou malgré l’adoption d’une loi d’amnistie qui lui est applicable (catégorie I) ; b)Lorsque la privation de liberté résulte de l’exercice de droits ou de libertés garantis par les articles 7, 13, 14, 18, 19, 20 et 21 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et, en ce qui concerne les États parties au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, par les articles 12, 18, 19, 21, 22, 25, 26 et 27 de cet instrument (catégorie II) ; c)Lorsque l’inobservation totale ou partielle des normes internationales relatives au droit à un procès équitable établies dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans les instruments internationaux pertinents acceptés par les États concernés est d’une gravité telle qu’elle rend la privation de liberté arbitraire (catégorie III); d) Lorsqu’un demandeur d’asile, un immigrant ou réfugié est soumis à une détention administrative prolongée sans possibilité de contrôle ou de recours administratif ou juridictionnel (catégorie IV); e)Lorsque la privation de liberté constitue une violation du droit international en ce qu’elle découle d’une discrimination fondée sur la naissance, l’origine nationale, ethnique ou sociale, la langue, la religion, la situation économique, l’opinion politique ou autre, le sexe, l’orientation sexuelle, le handicap ou toute autre situation, qui tend ou peut conduire au non-respect du principe de l’égalité entre les êtres humains (catégorie V). [8] Résolution 39/1 adoptée par le Conseil des droits de l’Homme le 27 septembre 2018 [9] “Report of the United Nations High Commissioner for Human Rights on the situation of Human rights in the Bolivarian Republic of Venezuela”, 5 juillet 2019, A/HRC/41/18 [10]Dans cette résolution, le Conseil des droits de l’Homme “exhorte les autorités vénézuéliennes à libérer immédiatement tous les prisonniers politiques et toutes les autres personnes arbitrairement privées de liberté, et à libérer d’urgence les 27 personnes détenues dont la situation a été qualifiée de prioritaire par la Haute-Commissaire dans le compte rendu qu’elle lui a présenté oralement à sa session en cours” (Résolution 42/25). [11] “Detailed findings of the independent international fact finding mission on the Bolivarian Republic of Venezuela” (A/HRC/45/CRP.11) [12] “Detailed findings of the independent international fact finding mission on the Bolivarian Republic of Venezuela”, §374-406 (A/HRC/45/CRP.11) [13] “Detailed findings of the independent international fact finding mission on the Bolivarian Republic of Venezuela”, §2083-2094 (A/HRC/45/CRP.11) [14]Deux examens préliminaires sont actuellement en cours devant la Cour pénale internationale concernant le Venezuela. Le premier examen préliminaire engagé en février 2018 se concentre sur les crimes présumés (notamment les privations de liberté) commis depuis avril 2017 au moins. Le second examen préliminaire a été engagé en février 2020 à la demande de l’Etat vénézuélien. [15] Communiqué de presse du Bureau du Procureur de la CPI, 5 novembre 2020 : https://www.icc-cpi.int/Pages/item.aspx?name=pr1544&ln=fr

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